Esta é a terceira parte de uma entrevista que fiz a Robert Massin aquando da sua visita a Lisboa em Março de 2012 e que serviu de documento de consulta para um texto que publiquei na revista LER de Maio. Tal como o texto final, trata-se de uma entrevista pensada para um público não especializado em design gráfico, como é, creio, o público maioritário da LER. Por manifesta falta de tempo para vertê-la para português, será apenas publicada na língua em que foi escrita, o francês. / Robert Massin a visité Lisbonne en Mars dernier. Ceci est la troisième partie d’une interview que j’avais préparé avec lui et que m’a servi de document de consultation pour un article que j’ai publié au magazine LER en Mai. Comme le texte final, il s’agit d’une interview plutôt généraliste, pour un public peut-être intéressé au graphisme mais pas spécialisé (LER est un magazine plutôt “littéraire”). Je dois remercier à Massin pour son énergie et sa patience en répondant à ces questions par email et à beaucoup d’autres que je lui ai posés en quelques heures de conversation et flânerie à Lisbonne, le 17 et 18 Mars. [ Lisez aussi PARTIE I et PARTIE II / leia também a PARTE I e PARTE II ]
Mise en Pages (ed. Hoëbeke, 1991)
13. Vous êtes un des rares graphistes de réputation internationale et importance historique qui a fait presque toute sa carrière au service de l’édition (au-delà de Gallimard, il y a eu Hachette, Robert Laffont, Hoeboeke, etc, jusqu’à vos propres éditions de Typographies Expressives). Qu’est-ce que vous lie si intimement au livre et aux mots imprimés?
Je peux estimer que, de toute ma carrière, j’ai travaillé à 95% pour l’édition; pour la publicité, 2% et pour la presse, disons à 3%. L’explication, si on veut en trouver une, tient au fait que j’ai été confronté physiquement au livre dès ma petite enfance, mon père étant graveur-sculpteur. Il gravait beaucoup d’inscriptions lapidaires dans les cimetières, où je l’accompagnais souvent, passant mon temps à le voir tracer des lettres sur le marbre ou le granit, pour les graver ensuite. Mais à la maison, dans son atelier, je le voyais aussi fabriquer des livres en marbre, des livres ouverts sur une double page et ornés d’une pensée ou d’une rose sur le côté. Certes, quand je regarde aujourd’hui les photos qu’il en a prises lui-même, avant de les vendre à des entreprises funéraires, je ne me dissimule pas le côté “kitsch” de l’entreprise. Il reste que, dans mon souvenir, lorsque je flânais dans les allées des cimetières pendant qu’il travaillait, j’estimais que, par rapport aux mêmes travaux exécutés par ses concurrents, les siens l’emportaient sûrement par la qualité de l’exécution.
Un matin, mon père, dans son atelier, me montra une plaque de pierre qu’il avait préparée, et sur laquelle il avait écrit au crayon des choses qui me faisaient l’effet d’un grimoire. Il me dit que c’était mon nom, mon âge et mon adresse ; puis, m’ayant mis dans les mains un marteau et un ciseau, il ajouta : “Fais comme moi!” Et c’est vrai que je l’avais souvent vu faire. J’attaquai donc les lignes verticales, puis les horizontales ; ce fut plus difficile pour les courbes, mais je ne m’en tirai pas trop mal. J’avais quatre ans et demi, et ne savais encore ni lire ni écrire. Et ce fut donc là mon premier rapport avec le livre et l’écriture.
Dès que j’ai su lire et écrire, je me suis mis à confectionner des petits livres (beaucoup d’enfants ont fait cela) dans lesquelles j’inventais des histoires. Mais le plus surprenant, le plus exceptionnel, c’est que je typographiais tous les textes que j’écrivais, comme s’il se fût agi de caractères d’imprimerie, comme ceux que j’avais vus dans mes livres scolaires.
Or à présent, à la fin de ma vie, je fabrique toujours, dans mes Typographies Expressives, des petits livres, dont je fais la typographie, la mise en pages et la couverture.
Éditions de Typographies Expressives: Du Coté de Chez Gaston, Apollinaire Vivant, Si Tu T’Imagines et À Propos: et la Cantatrice Chauve?
14. Que pensez-vous des changements qui ont eu lieu à l’édition ces dernières deux décennies? Peut-on dire d’être pire, meilleur ou simplement d’être en état de changement vers quelque chose d’autre?
L’invention récente des tablettes informatiques (personnellement, je les appelle ainsi, parce que cela évoque pour moi les tablettes d’argile utilisées par les Assyriens, et qui sont à l’origine de l’écriture, il y a six mille ans) marque un réel progrès dans ce qu’on peut attendre des technologies actuelles. En somme, le livre retourne à ses sources, bien que beaucoup regrettent l’attrait physique du bloc de papier, de ses éléments constitutifs, et pourtant, il y a déjà si longtemps qu’on ne sait plus ce qu’était l’odeur de l’encre de l’imprimerie !
15. Question inévitable: croyez-vous que le livre, ce qu’on connaît depuis des siècles comme “le livre”, est en train de disparaître?
Je ne saurais répondre à votre question, je ne suis pas devin. Je me bornerai à rappeler que, dans les années soixante, le philosophe MacLuhan avait proclamé urbi et orbi la mort de Gutenberg, ce qui entraînait la disparition du livre. Or le livre est toujours là, un demi-siècle après, il s’en produit de plus en plus et, pour prendre l’exemple des États-Unis, pays où les technologies sont le plus avancées et se répandent dans le monde, ces dernières n’ont tué ni le livre ni la presse. Sans doute, le livre prendra-t-il d’autres formes; mais, enfin, les tablettes dont je parlais tout à l’heure n’ont-elles pas gardé (tout en se lisant sur un écran) la forme même du livre, inventée au XIIIe siècle? Mon sentiment est que la double page du livre et la page unique de l’écran (déjà imaginée par Mallarmé dans le Coup de dés) finiront par s’associer et marcher de pair. Car enfin, n’avait-on pas, dans les années vingt du siècle dernier, annoncé que le cinéma ruinerait le théâtre, ce qui ne s’est pas produit ?
Massin de Laetitia Wolff (ed. Phaidon, 2007)
16. Comment avez-vous fait la transition de la manipulation manuelle aux outils digitaux de l’ordinateur? Et en quelle façon ça a changé (ou pas) vos méthodes de travail?
16. À part quelques conseils donnés par un ami, je n’ai suivi aucune préparation quand je me suis décidé (assez tard, par rapport à beaucoup de mes confrères graphistes) en 1960, à me mettre à l’informatique.
Si ce passage du manuel – car je dessinais encore mes maquettes à l’aide du croquis-calque, comme on le faisait il y a un siècle! – s’est fait sans difficulté majeure, c’est que cet ami m’a conseillé, plutôt que d’Xpress, déjà alors très répandu, de faire choix de PageMaker, l’ancêtre de InDesign, et je me suis servi de ce logiciel durant près de dix ans. Cela a sûrement changé mes méthodes de travail: au lieu de faire une couverture en vingt-quatre heures (car je restais tributaire d’un studio pour me fournir un tirage en couleurs de mon travail) je puis aujourd’hui n’y passer que dix minutes, à condition d’en avoir d’abord l’idée en tête, bien sûr, et qu’il s’agisse d’une simple typographie, et en une demi-heure si y est jointe une image, laquelle nécessite un recours à Photoshop.
Sans doute, le livre prendra-t-il d’autres formes; mais, enfin, les tablettes […] n’ont-elles pas gardé (tout en se lisant sur un écran) la forme même du livre, inventée au XIIIe siècle? Mon sentiment est que la double page du livre et la page unique de l’écran (déjà imaginée par Mallarmé dans le Coup de dés) finiront par s’associer et marcher de pair.
17. Au cour de votre carrière, quels autres graphistes et maisons d’éditions avez vous admiré, français ou étrangers? Y-a t-il eu des éditeurs ou maisons d’édition pour lesquels vous auriez aimé travailler?
Avant de créer la couverture de Folio (sortie: début 1972) pour Gallimard, j’ai visité à la foire de Francfort tous les stands d’éditeurs publiant des livres de poche. J’en ai retenu surtout en Angleterre les couvertures des Penguin (que je connaissais déjà par Facetti), en Allemagne, les Fischer Verlag, Rowholt, Dtv; en Suisse, j’ai beaucoup aimé les couvertures de Diogenes.
J’ai assez peu travaillé pour l’étranger, sauf pour Schirmer-Mosel à Munich pour un album de photos de Gisèle Freund paru ensuite en France, avec une jaquette pour laquelle cette photographe voulait un dessin inédit de Michaux, ce que Michaux a fait. Je suis allé chercher le dessin chez Michaux, qui m’a très gentiment reçu (nous nous connaissions, et je lui savais gré de m’avoir envoyé, quand j’ai publié La Lettre et l’Image, une lettre enthousiaste).
Le lendemain matin de cette rencontre, Michaux me téléphone, me reprochant presque d’avoir eu aussi peu de temps pour bavarder avec lui. Je réponds que je ne voulais pas le déranger; et là-dessus, il me raconte un rêve qu’il a fait la nuit dernière, au cours duquel il était mort… “– Heureusement que vous êtes bien vivant, puisque vous me téléphonez.” Or, quelques jours après, la presse annonce la mort du poète (dont Libération, qui lui consacre sept à huit pages), ajoutant que le décès a été tenu secret. C’est alors que je me suis rendu compte que Michaux a dû mourir très peu de temps après m’avoir téléphoné, et que je suis peut-être l’un des derniers auquel il ait parlé…
Gisele Freund, Photographien (ed. Schirmer-Mosel, 1985)
18. Vous êtes un “Proustien” avoué, et votre passion pour le culte de la mémoire des petites choses du quotidien est connue. À part vos livres plus “techniques”, vous avez écrit assez de romans historiques ou autobiographiques. Au-delà de Proust, quels autres auteurs vous ont influencé?
J’ai lu en effet sept fois A la recherche du temps perdu en trente ou quarante ans. Je me sens très proche de Proust, que je tiens avec Céline pour les deux plus grands écrivains français du siècle dernier. Dans la plupart de mes interviews, je raconte que j’ai connu Marcel Proust, et l’on me regarde avec étonnement. Puis, au bout d’un temps, j’ajoute que l’homme dont je parle (qui avait les mêmes nom et prénom que l’écrivain) était un berger de mon village natal totalement illettré, avec de grosses mains, un visage rougeaud, etc.
Je dois préciser aussi que ce village n’est situé qu’à quinze km d’Illiers-Combray, où Proust venait dans sa petite enfance.
D’autres écrivains qui ont pu m’influencer? Parmi les plus grands: Rabelais, Shakespeare, Cervantès et les Espagnols, (pour mes romans historiques surtout) Lazarillo de Tormes, Guzman d’Alfaranche et Simplicius Simpliccissimus, de Grimmelshausen. Mais aussi Thomas Mann, les Mémoires de Casanova, les Mille et Une Nuits, l’œuvre de Henry Miller, celles de Victor Hugo et de Balzac, lues plusieurs fois, et bien d’autres, comme ce Manuscrit trouvé à Saragosse du comte polonais Potocki (qui écrivait en français, comme Casanova), ou encore Mystères de Lisbonne, que je suis en train de lire.
En haut: couverture et reliure en soie pour Un Amour de Swann de Marcel Proust (ed. Club du Meilleur Livre, 1953)
En bas: couvertures des numéros 124 et 159 de la collection Folio, avec aquarelles de Kees van Dongen (Gallimard, 1972)
19. Votre fascination par le baroque en toutes ses formes (architecturales, picturaux, musicales) est aussi assez connue. En quoi a t-il influencé votre travail non seulement graphique mais aussi littéraire, et même toute votre vie?
Dans mon enfance, j’ai vécu dans un paysage gothico-roman, avec sous les yeux, à quinze kilomètres, la silhouette des flèches de la cathédrale de Chartres. Or à la fin des années soixante, il m’a été donné de découvrir le baroque, d’abord avec le livre Du Baroque, de l’historien espagnol Eugenio d’Ors, que j’ai lu et relu, car il étudie le baroque sous toutes ses formes et, simultanément, j’écoutais une émission radiophonique, sur la chaîne France Musique, avec ses émissions thématiques vouées très souvent aux compositeurs baroques. C’est ainsi que j’ai pu découvrir des continents entiers de musique. Toutes ces découvertes et connaissances, je les ai réunies dans un petit livre intitulé De la variation.
Sans nul doute, le baroque a eu une forte influence sur moi. Il a notamment accentué mon intérêt pour la variation (mais le clavier typographique ne propose-t-il pas déjà une invitation à la variation?) et mon goût, déjà assez marqué auparavant, pour les exercices de style. Grâce aux leçons du baroque, j’ai constamment marié, dans mes travaux, le sérieux et le comique, le classique et l’extravagance, et, surtout, la rigueur et la fantaisie.
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